Jean-Marc ORUS : du Tour de France au BikingMan
« Chers amis cyclistes, Radio Sports a voulu donner la parole à un passionné du vélo et de l’ultra distance : Jean Mars Orus. Il nous raconte ses débuts à vélo, avec les petites roues, ses souvenirs lointoins et familiaux du Tour de France, dans ses pyrénnées natales, et enfin ses premiers defis BikingMan. Je souhaitais qu’il nous raconte cette histoire entre la présentation du Tour de France, et le départ de la dernière manche du BikingMan à Taiwan, où il vient de partir comme Race angels dans l’organisation. »
Jérome Armand Créateur Radio Cyclo
J’ai enlevé les petites roues
Nous avons tous commencé avec elles car il fallait bien dompter cet engin qui ne tient pas debout seul. Ces petites roues c’était l’autonomie rapide et facile, et pour nos parents c’était l’assurance de limiter les chutes.
Mais arrive le jour où ton père t’enlève les petites roues, ce jour est synonyme de première chute. Tout le monde est passé par là. Pour autant l’envie est forte de remonter en selle et de persévérer jusqu’à maitriser cette machine à deux roues.
Nous avons tous une histoire avec le vélo.
Ma première fois
Tour de France 1964, étape Luchon – Pau, avec au menu. les cols de Peyressourde, Aspin Tourmalet, Soulor et Aubisque.
Le menu du pique-nique préparé par ma grand-mère était tout aussi copieux, pour ce jour là, cette journée sacrée où mes grands-parents m’amenaient voir une étape de la grande boucle. J’avais 7 ans et c’était une fête pour moi, mon premier Tour « en vrai ». Nous partions, mon grand-père au volant de la Frégate, ma grand-mère en tenue de gala pour applaudir son favori Bahamontes, dont elle nous contait ses qualités de grimpeur, et malgré qu’elle fut d’origine du pays basque espagnol, elle n’éprouvait aucune gène à vanter « l’aigle de Tolède ».
Bien installé sur la banquette arrière, je tenais le panier du pique-nique avec déjà l’envie de l’ouvrir avant d’arriver sur le col d’Aubisque pour installer notre campement. Je découvrais un paysage grandiose, des montagnes de tous cotés qui me semblaient infranchissables et pourtant dans quelques heures des cyclistes allaient me prouver le contraire.
Gaston gare la voiture sur un bout de prairie, un terrain relativement plat qui convient à ma grand-mère pour déplier la nappe a carreaux rouge et blanc dédiée à ce repas champêtre. Enfin je peux croquer ma première rondelle de saucisson, puis une deuxième, une belle tartine de pâté et surtout le sandwich omelette pommes de terre mon préféré. Le tout englouti à la vitesse de l’éclair car déjà nous commençons à entendre les sons des Klaxons de la caravane publicitaire, la première partie du grand spectacle du jour.
Bien positionné au bord de la route, les premières voitures publicitaires arrivent et je comprends vite qu’ils distribuent différents cadeaux : casquettes, besaces, stylos, magazines, etc…c’est la Noël en juillet. Chaque objet collecté est une victoire pour moi. Tout ce bruit, toutes ces couleurs sont une féérie alors que je le rappelle à cette époque nous n’avons que la télévision en noir et blanc. Pour un gamin de mon âge c’est magique.
Mais voilà le grand moment qui arrive, les premières voitures de la course, et le premier coureur qui n’est autre que le favori de mamie, Bahamontes l’aigle de Tolède. Elle exulte, je ne l’ai jamais vue aussi joyeuse. Un peu plus loin les leaders français Anquetil et évidemment « Poupou ». Si je me souviens bien ce sont ces trois coureurs qui constitueront le podium de ce Tour 1964.
Né à Bagnères de Bigorre, j’ai eu l’occasion de voir plusieurs fois ensuite ce grand spectacle, mais jamais je n’ai oublié cette première fois.
A chacun son ancrage
Tout au long de ma vie, j’ai pratiqué de nombreux sports en compétition, le ski, le rugby et le basket-ball, mais jamais le vélo à mes yeux c’était le sport le plus dur physiquement et mentalement.
Il ne faut jamais dire jamais, tout le monde le sait. Aujourd’hui je pratique le vélo et ce depuis une petite dizaine d’années. J’ai commencé à rouler pour occuper mon temps lors d’un burn-out. De sorties en sorties, toujours en solitaire, j’ai augmenté mon kilométrage en ayant en tête que dès que j’arriverai à parcourir 100 km je serai capable de grimper un col. C’était mon objectif.
Objectif atteint, première victoire sur moi-même qui était la porte ouverte, le visa, pour le deuxième objectif : grimper mon premier col. Il ne restait plus qu’à le choisir. Né dans les Pyrénées, il ne pouvait se situer ailleurs même si à cette époque je n’habitais pas dans la région. C’est décidé, ce sera le col d’Aspin par Ste Marie de Campan.
Me voici au pied du mur, car pour moi à cette époque là c’était l’image que j’avais en tête. Comment allais-je arriver à grimper ce col moi qui n’avait gravi que des collines? L’approche que je connaissais par coeur depuis Campan, le long faux-plat montant avant l’entrée de Ste Marie, les petits coups de cul pour parvenir à La Séoube puis au plateau de Payolle et faire une halte ravito avant d’attaquer la vraie montée. Les premiers coups de pédale étaient douloureux en passant au niveau de la carrière de marbre et je savais que le virage suivant, au début de la traversée de la forêt le pourcentage était plus fort. Je commençais à douter quand les images du tour de France 1964, ces images pleines de couleurs, de sons, de clameurs, de vitesse et surtout de l’engouement de mes grands-parents pour les cyclistes. A cet instant je me suis imaginé grimper ce col devant mon grand-père qui m’encourageait, qui m’acclamait. C’est ainsi que je ne sentais plus de douleur musculaire, je ne volais pas pour autant sur la route, mes les jambes tournaient, j’avançais jusqu’au sommet du col.
Nouvel objectif atteint, deuxième victoire sur moi-même qui m’a permis d’accepter que tout était possible. Tout cela a été possible en passant d’un état de pensées négatives (c’est dur, je n’avance pas, c’est encore long, je me fais doubler) à un état de pensées positives, en appelant par la mémoire l’image de mon grand-père déjà décédé à l’époque. C’est lui qui m’a amené au succès, c’est lui qui m’a motivé, je ne pensais plus à ce que je subissais mais je ressentais uniquement le bonheur de l’instant présent.
La routine est ennuyeuse, alors essayez l’aventure…
Brigitte Bardot chantait qu’elle n’avait besoin de personne en Harley Davidson, et bien moi je n’ai besoin de personne en Spe. Depuis toujours je roule seul, je n’ai jamais été dans club cycliste, je n’ai jamais fait de cyclosportive le jour J, en revanche j’en ai fait de nombreuses après la date pour voir mon niveau, savoir où j’en étais et découvrir que j’étais dans la moyenne.
A la lecture d’un magazine et plus précisément d’un article évoquant la longue distance à vélo, le bikepacking, le monde de l’ultradistance, j’ai eu envie de découvrir encore plus. J’ai cherché, à me documenter jusqu’au jour où sur YouTube j’ai découvert les courses BikingMan. Immédiatement je me suis dit « ça c’est pour moi », sortir de mes parcours favoris et vivre une forme d’aventure à vélo. Mais en serais-je capable? A mon âge est-ce bien raisonnable de faire 1.000km en moins de 120 heures? Voilà un nouveau vrai défi pour moi, un très grand mur à franchir.
La décision ne dépend que de moi, alors c’est oui je vais m’inscrire car c’est important pour moi de découvrir mes limites. Mais le pourquoi je vais le tenter est bien moins important que le comment je vais le faire. C’est maintenant que tout commence, bien avant le départ de l’aventure qui se déroulera au Portugal.
La préparation doit être appliquée pour se donner le maximum de chances de réussite, rien ne doit être laissé au hasard. C’est une première pour moi, je n’ai pas de repère, alors je lis beaucoup sur le sujet, je visionne beaucoup de vidéos où je découvre certains personnages hauts en couleur de ce monde particulier dans l’univers cycliste. J’empile tous les infos sur le vélo, les sacoches, l’éclairage, les vêtements, la nutrition, la gestion du sommeil, l’étude du parcours. Je suis dans un mouvement de projet positif, mais la date s’approchant je ressens des peurs qui me surprennent, le doute grandit.
Arrivé 48h avant le départ, je commence à rencontrer d’autres participants, certains habitués et d’autres néophytes comme moi. Je m’aperçois très rapidement qu’à l’exception des leaders rompus à l’exercice, la grande majorité transporte leurs peurs également. Entre celui qui pense ne pas trouver à s’alimenter, celui qui pense avoir très froid alors que nous sommes en mai et celui qui n’a jamais dormi dehors, il n’y a qu’une différence de poids embarqué. Le poids en cyclisme est le premier ennemi car il vous impose de développer plus de watts pour avancer surtout quand le parcours est montagneux. Lorsqu’on fait le bilan, une fois le raid bouclé, de ce qui a été amené et qui n’a pas servi, c’est là que l’on prend conscience que ces peurs n’étaient pas légitimes. Il faut être prêt à l’imprévisible et pas plus.
La puissance de la PNL
Fort de mon expérience terrain si je peux dire, ayant compris qu’une très grande partie du résultat provenait du mental, avec en particulier l’utilisation de ses ancrages, la confiance en soi, la transformation de ses peurs, etc… j’ai voulu en savoir plus en reprenant mes études pour obtenir une maitrise en Programmation Neuro Linguistique, plus communément appelée PNL.
Pour définir simplement la PNL, je dirai que c’est une approche psychologique qui explore la manière dont nous communiquons avec nous-même et avec les autres. Elle examine les schémas de pensée, les émotions et les comportements pour identifier et transformer les modèles négatifs. Par exemple, en modifiant notre discours interne, nous pouvons changer notre ressenti et notre réaction face aux situations qui nous font peur.
Armé de ces connaissances j’ai accompagné, coaché comme il est plus commun de le dire aujourd’hui, plusieurs personnes dans leur activité professionnelle ou sportive. Cette période a été très enrichissante au plan personnel et elle m’a permis non seulement d’aider les autres, mais aussi de progresser à titre personnel. Aujourd’hui je ne pratique plus, mais j’ai conservé les habitudes et les modèles qui continuent à me permettre d’écouter pour analyser le comportement des participants que je continue à rencontrer après cinq raids longue distance Portugal, Corse, Maroc ou Sri Lanka.
Ce que je retrouve chez chacun, sans exception, c’est l’ancrage d’une ressource positive, qu’ils me dévoilent après une mise en confiance.
Dans les plus classiques, on va trouver le « doudou », cet objet qui peut paraitre insignifiant aux yeux de tous mais qui représente un réconfort familier, la photo de ses enfants pour les garder proches, des paquets de Dragibus ou des poches de ces petits saucissons industriels distribués par la caravane du Tour de France (on y revient) que le coureur s’octroie à chaque sommet comme une récompense. Il est courant aussi de trouver l’utilisation de playlists avec des musiques aux tempos très variés, ou des enregistrements vocaux des amis, ou celui-ci qui dans les moments difficiles écoute Marc Madiot encourageant Thibaud Pinot lors de sa victoire au Tourmalet en 2019. Les plus aguerris amènent avec eux ce qu’ils nomment leur boîte à trésors mentale, qui contient des ancrages différents suivant la situation rencontrée. Là c’est le top, mais c’est un très long travail sur ses schémas de pensée, un véritable entrainement tout aussi important que les stats cumulées sur Strava.
De la douleur nait le plaisir
Les expériences d’ultracyclisme ne montrent-elles pas combien les portes de l’enfer ne sont jamais très loin de celles du paradis?
Des scientifiques expliquent l’existence d’un centre cérébral comportant deux voies distinctes, l’une dédiée à la recherche du plaisir, et l’autre à l’évitement de la douleur. Pour que le comportement de l’individu soit harmonieux, ces deux voies doivent s’équilibrer.
Lors des interviews que j’ai pu réaliser, beaucoup ont exprimé le plaisir de voir de magnifiques paysages, découvrir des pays ou des régions à une vitesse permettant de faire des rencontres, la soif de découverte, sans pour autant évoquer la douleur.
D’autres soulignent une forme de méditation en mouvement, le moyen de sortir de son quotidien ou de fuir une situation inconfortable, mais aussi de revenir à l’essentiel et se sentir vivant.
Mais celui qui m’a le plus touché est celui de Christophe : « J’ai du me résoudre à placer mon père en hôpital car il était atteint d’une maladie qui nécessitait beaucoup de soins réguliers. Son état se dégradait de jour en jour et il est décédé. Je culpabilise de l’avoir éloigné de la maison, et maintenant je veux souffrir sur le vélo autant qu’il a souffert sur son lit d’hôpital. Sa photo sur mon vélo est en quelque sorte une demande de pardon ».
Dans ce témoignage poignant, la recherche de la douleur est maximale dans le seul objectif de souffrir au plus profond et elle en devient une motivation extrême pour franchir tous les obstacles.
Le vélo c’est la vie
Qu’il vous permette de vous rendre à votre travail au quotidien, d’aller chercher le pain, de rouler tous les week-ends en club ou de participer à une aventure longue distance, il vous permet avant tout d’être en mouvement. Il peut vous procurer le bonheur de la découverte de paysages, de créer des amitiés, mais aussi et surtout d’aller à la rencontre de soi.
Faites bonne route, ne craignez pas d’avancer lentement, redoutez seulement de vous arrêter.
Jean Marc ORUS