Michel Jazy : un destin de héros populaire
Le champion d’athlétisme et médaillé d’argent olympique en 1960 s’est éteint le 1ᵉʳ février à l’âge de 87 ans. Il reste une légende du sport français par ses victoires et ses échecs.
Le sport élève ses héros et racontent leurs légendes. Et on finit par croire que les plus grands sont immortels. Michel Jazy était de cette caste. L’ancien recordman du monde du 1500m, champion d’Europe et médaillé d’argent aux Jeux de Rome en 1960, est décédé ce jeudi 1ᵉʳ février à l’âge de 87 ans, à Dax.
De la trempe des Bobet, Anquetil, Albaladejo, Mimoun et Kopa, Ostermeyer, Cerdan ou Killy, pour ne citer qu’eux, il a illuminé le sport français de l’après-guerre, une figure de ces années 50 et 60 où ses foulées s’allongeaient sur les pistes du monde entier et entretenaient l’espoir de victoires inouïes. Un champion populaire, une icône pour la foule. Un destin.
Présent aux Jeux de Melbourne en 1956, favori à ceux de Rome en 1960 et attendu quatre ans plus à Tokyo 1964, la «Jazymania» l’a poussée. Parti de son nord natal et le paysage des corons du pays minier où sa famille d’origine polonaise s’était établie, Jazy a 24 ans quand il part à la conquête du titre olympique à Rome. La France est debout devant les téléviseurs, c’est la première fois que les Jeux sont retransmis en mondovision. Le 1500 m est son royaume, il se contentera de la deuxième place derrière l’Australien Herb Elliott. La seule médaille olympique ramenée d’Italie par la délégation française. La suite est une autre histoire. Neuf records du monde, dix-huit d’Europe, cinquante de France, deux titres de champions d’Europe (1962, 1966). 2ème aux JO à Rome, 4ème à Tokyo, seule la plus haute marche olympique s’est dérobée à son ascension. Hélas les championnats du monde n’existaient pas encore…
Avant Colette Besson, Marie-Jo Pérec, Jean Galfione, Renaud Lavillenie, Medhi Baala ou Ladji Doucouré, il aura été le hérault de l’athlétisme français. Une idole. On le fait courir sur le pont du paquebot France pour tester les installations sportives du grand transatlantique. Ses tentatives de record du monde du 1500m ou du Mile sont retransmises en direct à la télévision qui bouleverse ses programmes. Il est une image noir et blanc d’une époque et une bouffée de nostalgie remonte en évoquant l’homme et le champion.
Pour bénéficier d’un salaire, le journal L’Equipe l’embauche comme typographe. Le quotidien raconte ses exploits, il les multiplie. Sa rivalité avec Michel Bernard, ce duel franco-français sur la piste, attirait le public autour de la piste à Saint-Maur ou Colombes. Comme peu d’athlètes tricolores ont pu le vivre ensuite.
Quand il a pris sa retraite à la fin des années 60, sur un dernier record du monde, Jazy, bientôt cadre commercial au Coq Sportif puis Adidas, bientôt administrateur du Parc des Princes, est entré dans la légende en trottinant, jamais loin de la vie de l’athlétisme, une voix discrète qui témoignait toujours de l’effort et de la quête de réussite.
Installé dans le Sud-Ouest, accueillant, humble observateur d’un athlétisme emporté parfois par le gigantisme et les dérives qu’il n’avait pas connues, ses mots étaient toujours empreints de sincérité. Alors, il racontait, on l’écoutait. Ses victoires, ses records et ses défaites amères. Son lien avec les Français. Ainsi, il avait conté la plus cruelle, celle du 5000m olympique de Tokyo, le 18 novembre 1964, un dimanche de pluie sinistre, à son ami le journaliste-écrivain Olivier Margot, ancien rédacteur en chef à L’Equipe il y a quelques années.
-«Deux mois avant les Jeux, je recevais quatre-vingts lettres par jour. Des déclarations d’amour. Je les ai toutes gardées, mais je n’ose plus les ressortir, je n’ai plus envie de pleurer. Cette course m’a accompagné toute ma vie et elle m’accompagne encore », confiait-il. Elle m’empêche encore parfois de dormir ». À moins de cent mètres de la ligne, le titre lui était promis, la défaillance l’avait plaqué. L’histoire, implacable, n’aurait-elle retenu que l’échec ? Quand il rentre en France quelques jours plus tard, ils sont des milliers à l’accueillir à Orly.
Parler de Michel Jazy, c’est aussi conter sa résistance, son endurance. L’été 1965, quelques mois après la désillusion de Tokyo, en un petit mois il va battre semaines quatre records du monde et six records d’Europe. Un destin.
A 87 ans, Michel, le gamin d’Oignies, n’est plus et sa légende court encore. Dernier pied de nez, il racontait volontiers qu’il avait distribué au fil des ans tous ses souvenirs, ceux d’une vie hors du commun. Tous sauf un. Le maillot qu’il portait à Tokyo, dans cette finale maudite.
Etienne Bonamy – Radio Sports